L'aventure à vélo, un combat féministe

Aventure + vélo + environnement + féminisme : voilà les ingrédients que Caroline Prigent cherche à mélanger dans son beau projet, Poco Loco. Entre l’UCPA et IronMan, ces odyssées à deux-roues visent à découvrir sa propre puissance, pour effectuer son “shift écologique”.

Hello Caroline ! Pourrais-tu te présenter et me parler de Poco loco ?

Je m’appelle Caroline, je suis née et j’ai grandi à Paris. J’ai travaillé pendant 10 ans dans le conseil en développement durable. En parallèle de mon travail, je pratiquais des sport d’endurance, surtout le triathlon. Plus j’avançais, plus j’augmentais les distances. J’ai fini par devenir complètement accro à l’ultracyclisme, qui est une spécialité proposant des épreuves de très longues distance. Chemin faisant, j’ai eu envie de combiner cette passion et mon boulot dans un projet entrepreneurial qui aurait aussi de forts engagements féministes. J’ai rencontré Harald qui avait la même volonté que moi. Ensemble, on a créé Poco Loco, un évènement d’ultra-cyclisme qui nous correspondait, avec des engagements durables forts, un objectif de parité et une mission : celle d’aider les femmes à oser partir à l’aventure. La première édition a eu lieu le 9 octobre 2022. 150 participants sont partis de Montpellier pour rallier Barcelone, dont 35% de femmes.

Pourrais-tu m'expliquer ce concept de bilan carbone ?

Notre mission est d’encourager le voyage bas-carbone, responsable et inclusif. On s’est dit que la première étape était de faire un état des lieux de notre bilan carbone, en sachant que le secteur outdoor n’est pas du tout moteur alors que notre terrain de jeu est l’extérieur…Il n’y a, aujourd’hui, pas de démarche active, partagée, transparente. On a voulu donner un coup de pied à nos concurrents. Alors, on fait un bilan carbone après chaque évènement et on partage nos résultats publiquement. C’est une première étape vers une stratégie carbone globale, sachant qu’on choisit aussi soigneusement les lieux de départ et d’arrivée exprès pour que chacun puisse arriver et repartir en train facilement et à des tarifs raisonnables.

« Il faut ré-enchanter le voyage de proximité »

Poco Loco, c’est chaque année plusieurs odyssées de vélotourisme en France et à l’étranger. Tu peux m’expliquer le concept ?

Poco Loco se situe entre l’agence et la course, entre l’UCPA et Ironman. Concrètement, on organise des aventures en apportant des beaux tracés sur des itinéraires précis, comme Montpellier-Barcelone, Dijon-Stuttgart, Aix-en-Provence-Milan, pour lesquels, à chaque fois, on prévoit : accueil et arrivée des cyclistes, une escale, vérification du matériel, assistance permanente et communication. Il y a trois formules. Les classiques, des courses d’ultracyclisme de 700 km avec un checkpoint. Il y a les Bikepacking experience, le format convivialité, parce que tu te retrouves le soir avec les autres participants. Et puis il y a les week-end où l’on part à la découverte d’une région ou d’une thématique : ce sont des itinéraires de 300 km, en Bretagne, dans le Lot ou en Normandie, où l’on traverse les plus beaux villages, canyons, cascades et lieux emblématiques de la région. avec dégustation de lot, selle en cuir locale, découvrir leur atelier de production. Les gens peuvent bivouaquer ou aller à l’hôtel. C’est vraiment un format qui permet de partir en quête de soi, c’est une école incroyable de l’autonomie. Mais contrairement aux courses, qui promeuvent souvent le “on ne se parle pas”, on tient beaucoup à rassembler autonomie et convivialité.

Pourquoi c’est important pour toi, cet engagement féministe ?

Dans le trail et le triathlon, il y a 5% de femmes. Pourquoi une telle inégalité ? C’était important pour nous de répondre à cela en structurant notre offre autour de nos engagements responsables et de notre volonté d’intégration. Par exemple, plutôt qu’une course d’ultracycliste, on se présente comme une aventure. Parce que la course, c’est la compétition et la performance, ça véhicule des valeurs masculines ou virilistes. Il n’y a qu’à observer les noms des courses : “gravelman”, “bikingman”. Tout est “man man man”, soldat, machine, surhommes… Ce n’est pas ça que je cherche. Dans ce monde post-covid, ce n’est pas la performance qui est intéressante, c’est la gestion de l’inédit. Il faut être résilient, voir ce que le monde nous propose et être heureux. L’objectif des défis Poco Loco est de ré-enchanter le voyage de proximité en montrant que l’aventure n’est pas réservé aux sportifs mais que c’est une manière d’être et de penser avant tout. Pas besoin d’être un cycliste aguerri pour faire 700 Km. Si tu as le temps nécessaire, tu les feras à ton rythme !

« Avec Poco Loco, je veux créer un gang d’outdoor »

D’où vient cette folie de l’outdoor ?

Mes parents m’ont fait beaucoup voyagée et j’ai habité en Nouvelle-Zélande, en Colombie et à Montréal pour mes études. Dans chacun de ces lieux, je recherchais de l’outdoor. Quand je suis revenue en France, il y a 10 ans, il fallait que je retrouve ce lien. Mais si à Montréal, en NZ, c’était facile parce que j’étais sûre que dans le lot, les gens partageaint les mêmes appétences que moi, à Paris, je me suis retrouvée avec mon groupe de potes de l’école qui n’avait jamais campé, et je ne savais pas comment sortir du périph. Alors je suis allée au Vieux Campeur, j’ai demandé des carte et j’ai créé ma propre micro-aventure. Très vite, avec mon club de triatlhon, j’ai réalisé qu’en parcourant 60 km, je sortais de Paris et je pouvais me faire des petits weekends facilement. J’ai rencontré des gens qui, comme moi, avaient envie de se lever à 6h du mat pour faire du kayak et d’aller visiter l’aprem a vélo. J’ai trouvé un gang d’outdoor et c’est exactement ce que j’ai voulu reproduire avec Poco Loco : aider les amoureux d’aventure à se sentir moins seul et à faciliter l’outdoor.

Quels sont tes souvenirs les plus forts avec le vélo ?

Quand j’étais a Montréal, j’ai commencé le triathlon. Je ne savais pas nager et j’ai acheté un vélo de route qui pesait 3 tonnes. Pendant 2 mois, tous les soirs, j’allais rouler 40 km avec ce vélo sur un parcours de circuit de course de voiture. Je cherchais des exutoires, type boxe ou rugby, mais je ne voulais pas de compétition, j’avais cette appréhension de l’échec qui me freinait énormément. Ce que j’adore dans le triathlon ou l’endurance, c’est que tu as aussi une ligne de départ, mais pas juste perdant et un gagnant. La philosophie, c’est faire de son mieux et surtout, kiffer le moment présent. Ce sport m’a apporté un équilibre intérieur et m’a ouvert au monde. C’est ça que je veux partager, ce goût de l’aventure, du territoire et de la rencontre intérieure. Je crois que c’est un triptyque essentiel pour faire un shift écologique. Quand tu réalises l’importance du territoire, tu es prêt a consommer et à penser le monde autrement.

C'est quoi, l'aventure pour toi ? Que veux-tu transmettre avec Poco loco ?

On a cette volonté de créer un réseau d’entreprises responsables pour les aventuriers. On est la génération qui apprend, on n’est pas toujours les plus exemplaires mais ensemble on va avancer vers du mieux. Je crois qu’on est nombreux a vouloir devenir acteurs et plus simplement témoins. C’est d’ailleurs exactement ce que propose l’aventure : tu es acteur du mouvement.

Comment conçois-tu tes aventures ?

On les crée à deux, avec Harald, qui a une passion de la carte et des territoires et adore raconter des histoires autour de ces traces, comme cet été où il part rouler sur les chemins de Game of Thrones, en Irlande et en Ecosse. On a une seule contrainte : proposer des itinéraires de 700 km à peu près. Ensuite on repère les plus beaux villages de France, les parcs régionaux, les gorges, les cascades, les cols et les rivières, dans des coins qui gagnent à être découvert. On veut embarquer les gens dans des endroits où ils n’ont pas l’habitude d’aller. On essaye souvent de faire traverser des frontières, parce qu’on trouve que c’est incroyablement vibrant, on a l’impression d’être un peu des cow-boys.

Tu travailles sur quoi ?

On travaille sur Komoot et Google maps. C’est une énorme part de notre travail. J’ai dû recommencer 3 fois l’un des parcours car le gravel est très particulier à tracer. Parfois, tu es sûre d’être sur le bon chemin et boum, tu arrives sur une propriété privée ou tu te retrouves sur un chemin de VTT hard-core. Ceci dit, la trace parfaite n’existe pas, c’est un graal, c’est une quête ! Notre seul objectif est de proposer des parcours sécurisés et beaux, pour offrir une parenthèse hors du monde.

« Le vélo permet aux femmes de se ré-approprier l’espace, le temps et le rêve »

Le vélo a été un outil d'empouvoirement pour les femmes... Est-ce que tu crois qu'il peut l'être de nouveau pour reconquérir le tourisme ?

Oui, c’est un outil incroyable. Personnellement, ça m’a énormément appris, ne serait-ce qu’à prendre du temps pour moi. Car le vélo, à fortiori les longues distance, c’est du temps, d’entrainement et lors de ton aventure. Et ce temps là est souvent accaparé par du temps familial ou de couple. Or nous, les femmes, avons moins la liberté de prendre ce temps que les hommes. Au-delà du temps, il y a aussi l’espace. Le vélo nous permet de nous ré-approprier l’espace, d’être visibles, qui osent être dehors et partir à l’aventure. Je t’assure que débarquer dans un PMU rempli de mecs, pas de poser de questions sur ton genre, te sentir a ta place, c’est hyper puissant. C’est un acte politique : je suis dehors, je suis chez moi, au coeur de la cité. Et enfin je dirais qu’il y a aussi une troisième ré-appropriation : celle ses rêves. Moi, par exemple, mon rêve était d’habiter à la montage quand j’avais 14 ans. Mais je me souviens que j’attendais mon prince savoyard. J’avais intériorisé le fait que mes rêves, ce n’était pas à moi de les porter. Avec le vélo, je ne me suis jamais dit ça… Et j’adore cette sensation de puissance.

Quel est ton plus beau voyage en vélo ?

La Patagonie, que j’ai fait seule il ya 3 ans. Pendant un mois, j’étais la seule maître à bord. Parce que c’est ça qui est incroyable dans le vélo : à un moment, tu es seul et tu ne peux compter que sur toi, tes compétences, tes choix, avec son lot d’emmerdes. Tu casses un truc, tu ne sais pas réparer, mais tu apprends. Tu ne fais pas de concession : tu veux dormir là, tu n’écoutes que toi. C’est vertigineux ce moment : faut que je campe, merde, je dois choisir. Tu apprivoises tes peurs, les bruits de la nuit, c’est assez animal, surtout quand tu habitues en ville et que tu es habituée aux stimulis permanents. Tout d’un coup, ce silence, tu n’entends que ça. Tout d’un coup, c’est l’aventure, la vraie, la pure : la reconnexion aux instincts. Tu te concentres sur tes sensations et tu découvres un monde parallèle, c’est tellement beau.

Est-ce que l’outdoor est réservé aux sportifs ?

Je trouve qu’il faut désacraliser le terme “sportif”. Poco loco, c’est sportif, comme la randonnée l’est. Pour autant, tu ne vas pas t’écrouler sur le ring. Oui, c’est de l’effort, du mouvement. Mais on est tous capable d’être en mouvement. Si on te laisse 8 jours, tu peux faire 700 km.

Quelle a été le plus beau retour d’une ou un participante ?

Lisa, une femme de 62 ans, qui est arrivée avec des sacoches de l’espace, prête pour un voyage en cyclotourisme. J’ai pensé : oups, ce n’est pas le style de l’évènément. Et puis finalement, j’ai très vite rabattu mes propres préjugés. Cette femme avait voyagé partout dans le monde, elle avait fait le Népal en vélo… Poco Loco doit au contraire encourager la diversité des styles. Je me souviens qu’elle a fini son aventure en 7 jours et que, quand elle est arrivée, on était tous dans un café bar après avoir visité la ville. Quand elle est arrivée, elle a eu droit à une hola, on était tous hyper émus. Tout le monde fait partie de la même aventure, à la fois collective et autonome, et c’est ça qui est puissant.

« Notre but est de donner un gain d’autonomie aux gens pour leur permettre de se rencontrer soi et les autres »

Il ressemblera à quoi, le tourisme, dans 50 ans ?

Je crois en l’évènementiel touristique plutôt que dans les agences touristiques. On s’est auto-épuisés. Tout le monde voyage sur 5% du monde et on épuise toutes les ressources sur ces 5%. Le tourisme a épuisé l’essence même du voyage. Je crois que l’aventure le réhabilite. Poco loco n’est pas une fin en soi. Notre objectif est de donner à chacun un gain d’autonomie pour se mouvoir, à vélo, à pieds, pour redécouvrir le monde, se rencontrer soi et les autres. C’est pour ça, qu’on voyage, à la base. Pas pour acheter de l’artisanat plus ou moins local et faire toujours les mêmes parcours tout tracés.

Quels conseils donnerais-tu à tous ceux qui veulent se lancer dans une activité dans le vélo ?

Faire. Essayer. Enclencher la machine, exactement comme quand tu te mets au vélo pour la première fois. Ne pas attendre d’avoir si le produit parfait. Ne pas attendre d’avoir le vélo parfait !

La minute culture

Une musique pour les virages : “Un Monde Nouveau” de Feu Chatertton

Une musique pour les descentes : "Young and Beautiful", Lana Del Rey 

Une musique pour les montées : “Femme Like You”, K-Maro (désolée ahahah)

Un podcast pour chiller sur son vélo : La Pampa à vélo

Un livre pour partir à l'aventure : L’appel de la forêt, Jack London

Inscrivez-vous aux Rois de la Reine !

La Newsletter des Héroïnes et Héros du Tourisme à Vélo
Merci à vous 🤩 A très vite dans votre boîte mail !
Oups, il y a eu un problème, veuillez réessayer.